Les performances des fourmis en matière de transport de charges sont bien connues. Au-delà des chiffres quelque peu fantaisistes qui circulent dans la littérature, nos travaux (Bernadou et al. , 2016) sur l’espèce de fourmi granivore Messor barbarus montrent qu’une ouvrière de cette espèce peut soulever et transporter un peu plus de dix fois son propre poids, et beaucoup plus si elle traîne sa charge au lieu de la porter. Quels sont les structures et les mécanismes qui permettent aux fourmis d’accomplir de telles performances ? C’est ce que nous nous proposons d’explorer dans ce projet.
Pour caractériser la biomécanique du transport de charge chez les fourmis nous utilisons pour cela une plate-forme d’étude du mouvement mise au point par la société R&D Vision. Cette plateforme est adaptée à la petite taille des fourmis et elle permet grâce à cinq caméras synchronisées et à haute fréquence d’acquisition de reconstituer en 3D la trajectoire de leur centre de masse et de 23 points stratégiques localisés sur les différents segments qui composent son corps. Le logiciel Vicon Peak Motus permet ensuite de construire un modèle filaire de la fourmi, de caractériser de façon très précise la cinématique du déplacement et de calculer la puissance énergétique générée par les fourmis lors de leurs déplacements avec une charge.
A- Ouvrières de Messor barbarus transportant des fragments de pâtes alimentaires sur le terrain. B- Relation entre la masse de la tête et la longueur du thorax chez les ouvrières de Messor barbarus. La masse de la tête a été linéarisée par la racine cubique. La masse de la tête augmente significativement plus rapidement que la longueur du thorax. La ligne en pointillés a une pente égale à l'unité et correspond à une croissance isométrique de la masse de la tête par rapport à la longueur du thorax. N=57 fourmis. D'après Bernadou et al. (2016). C- Relation entre la position du centre de masse sur le thorax de la fourmi et la longueur de son thorax. D'après Bernadou et al. (2016). D- Etude de la locomotion d'une ouvrière de Messor barbarus. Les lignes de différentes couleurs montrent la trajectoire des points d'intérêts sur le corps de la fourmi à partir desquels le centre de masse de la fourmi est calculé.
L’objectif de notre projet est d’établir un lien entre les performances des fourmis lors du transport de charge et la division du travail observée dans les colonies, à travers la quantification du travail mécanique réalisé par des individus de différentes tailles/formes. Nous pourrons ensuite tester si la distribution de taille des fourmis chargées observées sur les pistes d’approvisionnement est en lien avec leur performance énergétique dans le transport de charge (théorie de l’ergonomie de caste).
L’intérêt de l’espèce de fourmi sur laquelle nous travaillons est qu’elle se caractérise par un fort polymorphisme, la masse des individus pouvant varier d’un facteur 10 entre les ouvrières les plus petites et les plus grosses. Ce polymorphisme est accompagné de relations allométriques entre les différentes parties du corps. Chez M. barbarus les ouvrières les plus grosses ont ainsi une tête beaucoup plus volumineuse par rapport à leur corps que les ouvrières les plus petites. Ceci a pour conséquence de déplacer leur centre de masse vers l’avant (Bernadou et al., 2016) et a donc probablement un impact important sur leur comportement locomoteur et leurs performances lors du transport de charges.